Jusquaux événements tragiques que lon sait, le skateur de lextrême semblait encore assez en forme. Bien dans sa peau, infiniment loin de lenfer des rues de sa jeunesse, profondément emmitouflé dans un bonheur qui pouvait se lire sur son visage, pour lui tout marchait... comme sur des roulettes !
Mais aujourdhui, cest un homme amaigri, sans passions que nous avons pu voir. Ses jambes, littéralement coupées comme du foin à la mauvaise saison, sont à la hauteur du personnage : sans grandeur, sans envergure. Frappé en plein cur par les sceaux de la drogue et de la ruine, lancien héros des jeunes qui ont un skate doit aujourdhui compter avec son alcoolisme et sa maladie. Chaque soir, le voilà obligé de se traîner dans les quartiers les moins présentables de la ville, surfant dun trottoir à lautre entre dealers et créanciers quitte à risquer ce qui lui reste de vie.
Une maladie désagréable
Tout à commencé il ny a pas si longtemps par la perte de son bras le plus cher : le bras gauche, un comble pour qui, on sen souvient, avait apporté lors de la dernière campagne présidentielle son soutient le plus total aux forces de progrès (et qui, de plus, était gaucher). La maladie frappe quand elle veut : Un jour tu pleures, un jour tu ries, cest la comédie de la vie , ironise-t-il à demi-mot, la larme à lil. Ce bras est, pour linstant, le seul membre manquant que le skateur ait à déplorer, mais la vie nest pas rose pour qui sait quà tout moment, un pied, une jambe ou un ongle peuvent se volatiliser en lespace dune fraction de seconde comme en il était advenu en ce maudis jour triste dhiver, ne laissant pour tout souvenir quun dérisoire tas de cendres en forme de membre miniature qui semblait dire je tai eu.
On se souvient tous du mémorable combat qui avait opposé le skater de l'extrème aux sbires du porc de l'angoisse.
Aussi, lancien pro de la planche à roulette est aujourdhui angoissé à la simple idée de sortir de chez lui, et cest à chaque fois à rebours et les yeux fermés quil franchit le seuil de sa porte avec à lesprit ce seul but : trouver la substance dangereuse qui lui rendra pour un moment sa fraîcheur dantan et le souvenir de ses membres perdus. Et pour ces menus services, inutile despérer quelque secours de ses anciennes relations : même ses proches dhier, qui souhaitent ici témoigner anonymement de leur sympathie et leur réconfort, frappés quils sont sans nul doute par la pitié que ne peut pas manquer de leur inspirer le piteux état dans lequel survit aujourdhui cet homme brisé par le destin, tentent de garder la tête haute en évitant celui quils ne considèrent maintenant plus vraiment comme lun des leurs : depuis quil a perdu son bras, il nest plus vraiment le même, entend on de ci de là. Et on les comprend ! Personne na envie de revivre la réception cauchemardesque au cours de laquelle le fameux bras gauche avait disparu, dautant que le skateur avait sur le coup négligé de nettoyer lui-même ses résidus.
Depuis ce jour, la crainte de voir partout ces petits déchets corporels traîner sur les meubles du la cuisine, où le malheureux passe désormais le plus clair de son temps, pousse sa mère à ironiser, comme pour montrer à la face du monde quil est facile pour cette solide famille de dédramatiser un malheur qui paraît tout de même avoir bâti son domicile éternel pour longtemps dans la cellule familiale du surfeur triste : Un jour il oubliera sa tête, plaisante-t-elle en effet gaillardement avant de seffondrer en larmes. Seule à faire entendre une note dissonante dans ce concert de lamentations, son ex-femme paraît au contraire plus radieuse que jamais depuis lapparition de la maladie. Il me battait, vous savez, nous confie elle, hilare, alors maintenant, il est bien emmerdé .
Le suicide: un mal nécessaire ?
Reste que, confiné chez ses parents, nosant plus voir personne, abandonné par sa femme et ses amis, ses finances trouées par des drogues trop chères, le skateur de lextrême na plus dautres occupations que dattendre une guérison miracle en observant sans relâche la lente progression de sa maladie : Cette nuit, nous informe-t-il, je numéroterais mes abattis, ça moccupera. Son plus vif souhait serait de pouvoir revenir un jour à sa planche quil chérit tant et qui a fait sa gloire. Cest tout le mal quon lui souhaite. Gageons toutefois que le malheureux homme ne se laissera jamais tenter par les sirènes lugubres de la roulette ... russe !
Vivien