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Odilon Bélitre

On l'a connu plus vivant que ça

“Tout de même, ils exagèrent”. Ce furent les dernières paroles prononcées par Odilon Bélitre dans un dernier souffle. Bélitre fut certainement l’un des auteurs les plus appréciés et les plus créatifs de ce siècle. Affable, humble, modeste, le poulencien ne mâchait pourtant pas ses mots, et il a tâté de tous les styles, à chaque fois avec un égal bonheur.

Né en 1934 à Wissenkruppenschluß-burg, petit village gai et chantant du fin fond des collines du Poulenc, il avait gardé de son enfance la couleur des jonquilles et l’odeur du foin fraîchement coupé. Jeune et plein de vie, le petit Odilon allait cependant s’avérer assez attardé. Ce n’est qu’en 1944, à l’âge de 10 ans, qu’il prononça ses premiers mots qui, au dire de ses parents encore blessés par ce choquant souvenir, furent “ La salooope ”, alors que, accroché au rebord de son parc, il regardait passer la factrice du village.

Tout juste sorti d’une crise d’adolescence désespérée et chaotique, il vit, à 17 ans, paraître au grand jour son premier roman, Même pas vrai, véritable diatribe contre les vicissitudes des moeurs poulenciennes, calomnieuses et malsaines.

“Une bonne boucherie de temps en temps, ça faisait plaisir à tout le monde”

Ayant finalement décidé de se dégager de l’abominable carcan parental, il s’octroya quelques années plus tard avec force volonté son indépendance. Oui, c’est vrai, tuer ses parents à grands coups de hache, ce fut là une bien difficile épreuve, “ surtout qu’après, faut nettoyer ”, avait-il ajouté avant de monter sur l’échafaud. Une intervention divine qui passait par là au moment où tombait le couperet trouva judicieux de bloquer l’engin mortel avant qu’il ne remplisse son funeste office. Complètement fou et heureux, Odilon jugea bon de fêter sa béatification en allant honorer la vinasse rouge et gouleyante qui coulait à flot dans le troquet du coin, où il frôla pour la première fois les replis soyeux du bonheur dans les bras de Monique. Son premier essai, C’est toi qui y a dit, recèle un pamphlet cruel et acerbe contre la justice d’aujourd’hui, qui condamne toujours les justes. “ Au moins avec la justice d’autrefois, expliquait-il, y avait pas de procès ; c’est l’injuste qu’on châtiait, innocent ou pas, peu importe. Ca, c’était de la belle justice ! ”

Ce fut un premier tournant dans la vie de Bélitre qui crut comprendre qu’il n’était pas né à la bonne époque. Il commença alors à écrire sa série d’études sur les moeurs du moyen-âge en s’attachant à faire resurgir dans notre temps des figures légendaires du passé dont la célèbre poularde michaudière, les fléaux d’armes et autres sympathiques instruments.

“Transformer un stade de foot en champ de mines, c'est toujours une bonne idée !”

“ Autrefois, on savait encore apprécier le sang et la cruauté. Une bonne boucherie de temps en temps, ça faisait plaisir à tout le monde. Quel bonheur pouvait égaler celui du noble chevalier fouillant généreusement du fer de son épée les entrailles de l’ennemi, en savourant le rictus de douleur naissant sur le visage de ce dernier. Ca, c’était des gars qui avaient de la burne à revendre. Maintenant, on ne sait plus s’amuser. On tire de loin avec des engins douteux, sacrifiant à ce jeu lâche le plaisir de voir de près un homme crever à petit feu. Heureusement qu’il reste encore par ci par là dans le monde des p’tit gars qui ont encore le goût des joies simples ”.

Bélitre avait ajouté à ce propos à quel point cet état d’esprit ne cessait de l’étonner : “ Ce n’est pourtant pas l’envie d’horreur qui manque à la plupart des gens. Mais aujourd’hui, seules quelques personnes s’impliquent à fond là-dedans. Les gens se contentent de ramasser par-ci par-là des lambeaux d’images sanguinolentes, mais, à mon avis, c’est un voyeurisme des plus indélicats ”.

Cette période fut la période noire d’Odilon Bélitre, celle qu’il ne quitta d’ailleurs jamais vraiment. Il se mit à enchaîner meurtres sur meurtres, à commencer par sa femme et sa belle famille. On l’appela bien vite le "fou sanglant aux yeux rouges ".

Mais cette période fut aussi et sûrement la plus fructueuse de la vie de Bélitre ; elle vit la naissance de ses premiers romans psychologiques. Et avec quel bonheur Odilon savait nous plonger dans l’univers onirique de ses meurtres et donner au lecteur l’impression de massacrer lui-même les pauvres victimes innocentes à la hache émoussée, son instrument de prédilection. Cette anthologie du bon goût lui valut une réputation mondiale de “ fieffée crevure ”. Mais Odilon était resté un bienheureux dans le coeur de tous, et on lui pardonna volontier chacune des petites folies qu’il aimait à s’offrir.

Dieu est la première des sciences auxquelles l’homme s’est livré ; ce fut, pour Bélitre, la dernière. Et il l’entrevit dans son dernier roman psychologique, Massacre à Wissenkruppenschlußburg : “ Oui, Dieu est à lui seul un alibi. Je lui ai tout expliqué, je lui ai proposé de lui renvoyer quelques âmes, et j’ai senti qu’il me répondait que ça lui ferait plaisir. C’est à ce moment que j’ai compris que j’étais un élu, un saint, reconnu bien au-delà du monde et de ses pauvres préoccupations. Oui, c’est moi qui tient la hache, mais c’est Dieu qui assène les coups ”.

Ainsi donc, guidé par une piété fervente et sans limite, il consacra le reste de ses oeuvres littéraires à l’Eternel, tout en commettant des petits meurtres par-ci par-là. “ Faut bien vivre ! ” comme il aimait à le rappeler. On a tous encore en mémoire sa dernière petite folie. Transformer un stade de football en champ de mines, c’était pourtant une bonne idée. Mais, bon, les sportifs, de nos jours, ça coûte cher et c’est fragile. Alors là, pour le coups, les gens ont commencé à lui en vouloir. Condamné à la chambre à gaz, Odilon Bélitre n’aura de cesse, durant les dernières heures avant son exécution, de répéter : “ Tout de même, ils exagèrent ”.

Arnaud


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